« La cécité n’est pas une fatalité », Cécile MOUAHA
Par glaucome, on désigne plusieurs maladies graves de l’oeil qui, sans traitement approprié, ont pour conséquence une perte irrémédiable de la vision. Ce mois d’octobre, le monde accorde un intérêt à la vue sous le thème : « priorité à la santé oculaire de l’enfant ». Dans cette interview, Cécile MOUAHA,
femme médecin camerounaise de spécialité ophtalmologie, donne d’utiles précisions sur les problèmes de vue, surtout chez l’enfant avec un grand format sur le glaucome, deuxième cause de cécité après la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Vous y trouverez également des conseils que donne ce médecin à la communauté noire.
Présentez-vous, s’il vous plaît.
Dr Cécile Mouaha… : Je suis Cécile MOUAHA…J’ai fait mes études au Cameroun, j’ai été formée à la faculté de médecine des sciences biomédicales de Yaoundé à l’Université de Yaoundé 1 où j’ai fait 7 ans en médecine générale et 4 années de spécialisation en ophtalmologie. Mon travail de mémoire portait sur l’évaluation de la progression du glaucome chez le sujet mélanoderme, c’est-à-dire le Noir. J’ai fait un travail qui a été réalisé à l’Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala chez les patients suivis pour glaucome. Nous les avons suivis par rapport au traitement lié aux examens qui devaient être faits dans le cadre de leur suivi pour voir comment ils réagissent au traitement.
Dans ce mois d’octobre a été marquée la journée mondiale de la vue.Quel est le thème retenu et pourquoi ?
Effectivement, en ce qui concerne l’ophtalmologie, il y a la journée mondiale de la vue qui est célébrée tous les 2è jeudi du mois d’octobre et le thème choisi cette année est : ‘priorité à la santé oculaire de l’enfant’. Ce thème a été choisi parce que la santé oculaire, de façon générale, est un bien précieux et irremplaçable. Et chez l’enfant en particulier parce que les problèmes oculaires chez l’enfant sont une responsabilité collective de la société professionnelle et morale. Un enfant aveugle est une charge pour la famille et la communauté, il va peser pour tout le monde, il se dégagera un coût financier et on ne saura pas ce qu’on va faire de lui. Aussi, n’y a-t-il pas toujours des structures de réhabilitation, surtout dans notre contexte.
Aura-t-il un emploi ?
Il sera une charge pour ses parents qui, dans notre contexte n’ont pas toujours des moyens pour survivre eux-mêmes. Donc, si on peut éliminer le mal dès la base, ce serait quelque chose de bénéfique et pour cela, il faudrait que les gens soient sensibilisés à ce que dès l’enfance, l’enfant doit apprendre à consulter.
Est-ce que l’enfant qu’on a à la maison a une bonne vision ?
Il peut même ne pas être totalement aveugle mais avoir une malvoyance ou une vision basse, ce qu’on appelle une déficience visuelle. Et, cela va jouer sur ses performances scolaires.
Pourquoi cet enfant n’est pas brillant à l’école ?
Peut-être parce qu’il ne voit pas juste simplement. Il y a des pathologies qu’on peut traiter avec des miettes mais pour cela, il faut déjà consulter. Et à la suite de cette consultation, on pourra dire clairement quel est le problème. Si le problème a une solution médicale, on traite l’enfant qui se portera mieux. Si ce n’est pas le cas, parce qu’il y a des enfants qui naissent aveugles, il y a ce qu’on appelle la réhabilitation où ils vont dans les centres où on apprend le braille et les petits métiers.La cécité n’est pas une finalité.
On peut toujours trouver une solution.
Toujours sur cette journée, quelles ont été les activités dans votre pays ?
Au Cameroun, pour cette journée, il y a eu des campagnes dans différents services du pays. Chaque service a organisé une campagne pour la population à son niveau. Il y a eu des campagnes dans les établissements scolaires pour la sensibilisation des élèves et une campagne de masse dans la ville de Yaoundé organisée par le Programme national de lutte contre la cécité, où tous les âges étaient conviés. C’est vrai, c’était la journée des enfants mais on ne pouvait pas rejeter les autres. Plus de 150 personnes ont été vues ce jour-là en quelques heures. On ne les traitait pas directement mais pour ceux qui avaient des problèmes approfondis, on les orientait vers des structures pour compléter leurs examens. Il y avait des malades qui devaient se faire opérer, il n’y avait pas de plateau technique sur place, c’était juste une campagne de dépistage, ils ont été référés dans un hôpital public de prise en charge.
Parlons du glaucome pour lequel vous êtes une spécialiste. C’est quoi le glaucome ?
Le glaucome, en terme médical, on parle de neuropathie optique. C’est une maladie qui tue le nerf optique. Le nerf optique est ce câble qui relie l’œil au cerveau et qui permet la transmission de la vision. Au cours d’un glaucome, il y a destruction progressive de ce nerf. Le glaucome, il y en a de plusieurs types mais ils ont le même objectif, c’est-à-dire la destruction du nerf optique. Pour diagnostiquer le glaucome, il faut déjà faire une consultation. A la suite, on fera des examens, notamment celui du fond d’œil pour voir si le nerf optique est rongé ou pas. Avec cet examen qui est préliminaire, on demande l’examen approfondi notamment l’examen du champ visuel et d’autres à savoir l’OCD et la pulsion intraoculaire. Ces examens ont un coût, ce qui fait que généralement les patients n’ont pas les moyens. Son traitement est comme celui de l’hypertension ou du diabète. C’est une maladie incurable et le traitement est à vie. Quand un patient est diagnostiqué glaucomateux, le traitement est à vie.
Le glaucome, dit-on, est une maladie sournoise. Comment se manifeste-t-il ?
Dans le cas du glaucome, généralement, le malade ne va pas sentir sa vision baisser. Dans ce cas de figure, on perd la vision de la périphérie vers le centre. Mais, cela se remarque lorsqu’on voit quelqu’un qui, en marchant, va taper les coins de porte, il ne voit pas totalement les dimensions de la porte mais il voit droit devant lui. C’est aussi simplement que ça se manifeste mais, du jour au lendemain, la vision s’éteint et on perd la vue. Autrement, il n’y a pas de signe de douleur, de picotement ou des yeux qui grattent. C’est à l’hôpital qu’on dira au patient qu’il ne voit presque plus.
Qu’est-ce que le glaucome a à voir avec les mélanodermes que nous sommes ?
Les études mondiales et certaines études africaines ont montré que c’est une maladie plus agressive chez le noir. Elle est plus fréquente d’abord chez le mélanoderme. C’est une maladie qui a une composante héréditaire et chez le noir en particulier, le problème se trouve à plusieurs niveaux. Déjà, on n’a pas la culture de la consultation permanente, ce qui fait que le diagnostic est tardif. On le découvre généralement à des stades avancés. Ce n’est que lors des campagnes qu’on peut dire qu’un patient a un glaucome précoce. Mais, même jusque-là, comme c’est une maladie sournoise, lorsque quelqu’un est diagnostiqué, il n’a pas mal et donc il ne le prend pas ça au sérieux. Il y a aussi un problème de prise en charge. Lorsqu’on donne à un patient un collyre pour qu’il le mette dans les yeux tous les jours, souvent, cela ne cadre pas avec son emploi du temps, souvent il n’a pas d’argent. Il y a donc le coût social qui suit. Tout cela aggrave la maladie dans notre contexte.
Lorsqu’on diagnostique un patient glaucomateux, il doit sensibiliser sa famille. Ce n’est une maladie à cacher, ce n’est ni une maladie discriminante et il faut dire aux autres de se faire consulter. Mais, généralement, les gens ne le font pas. Dans une famille, plusieurs personnes ont le glaucome, c’est lorsqu’on essaie de réunir les informations qu’on se rend compte que dans la lignée, il y a le glaucome depuis des années. En ce moment, on prend des dispositions pour les générations à venir. Plus tôt, plus précocement, on doit faire les tests annuels pour leur suivi. C’est un véritable problème de santé publique. On a toujours eu ces enfants qui, malheureusement très tôt, souffrent des problèmes d’yeux.
Comment se comporter devant ces enfants ?
Pour les parents, ils doivent écouter leurs enfants. Lorsqu’un enfant dit qu’il ne voit pas, il faut l’amener à consulter au plus vite. Des fois, ce n’est même pas l’enfant, il peut s’agir de la maîtresse qui signale que l’enfant n’arrive pas bien lire. Il faut l’amener à consulter. Au lieu de cogner sur la tête de l’enfant, il faut plutôt l’écouter, l’amener à consulter et écouter les propositions qui seront faites par le médecin. Il y a des maladies d’yeux qui se traitent avec des lunettes, notamment lorsque la vision est basse. A partir de ce moment, l’enfant n’aura plus ces problèmes et généralement, cela augmente ses performances scolaires. Par contre, il peut s’agir d’autres maladies comme des allergies qui évoluent par crise. Toutes ces maladies peuvent entrainer la cécité, c’est pour ça qu’il faut écouter les enfants quand ils se plaignent. C’est comme le paludisme. C’est une maladie qui doit être prise en charge. Pire encore, l’enfant peut perdre la vue.
Vous êtes à Lomé depuis quelques jours, comment trouvez-vous la ville ?
La ville de Lomé par son climat et son apparence, n’est pas très différente de la ville de Douala. C’est de l’eau et c’est du soleil. Je me sens comme à la maison. C’est peut-être la langue qui va nous séparer, sinon, on se sent comme au Cameroun.
Le mot de fin ?
Les gens ne pensent pas à la santé oculaire. Cela a été l’une de mes motivations pour faire cette spécialité. Et en tant que médecin généraliste, je me suis rendue compte que les gens ne sont pas attentionnés aux problèmes de vue, notamment chez les enfants. Cela a des impacts importants sur la vie de l’enfant parce que ce dernier dépend du parent et si le parent n’est pas conscient, la vie de l’enfant et son avenir en dépendent. Je dirai aux parents d’être vigilants par rapport à la santé de leurs enfants. C’est coûteux mais la vie n’a pas de prix, la santé n’en a pas non plus.