Amnesty International sort un rapport sur les femmes accusées de sorcellerie au Ghana

Ce rapport intitulé « Marquée à vie: Comment les accusations de sorcellerie entraînent des violations des droits humains de centaines de femmes dans le nord du Ghana » est basé sur des travaux de recherche menés de juillet 2023 à janvier 2025. L’organisation a interviewé 93 personnes accusées de sorcellerie vivant dans quatre camps dont 82 femmes, la plupart âgées de 50 à 90 ans.

En rappel, cet exercice s’inscrit dans le cadre de la campagne d’Amnesty International. L’organisation a mené des discussions début février 2025 avec le bureau du procureur général et le ministère du Genre, de l’Enfance et de la Protection sociale. Ils ont manifesté leur intérêt pour une réintroduction au Parlement du projet de loi privé visant à criminaliser les accusations de sorcellerie et à protéger les victimes de ces accusations. Le projet de loi a été réintroduit peu après.

Pour information, Amnesty International a partagé les conclusions préliminaires de ce rapport aux autorités ghanéenne le 26 février 2025. Au moment de la finalisation du rapport, aucune réponse n’avait été reçue.

Voici le contenu du rapport:

« Marquée à vie: Comment les accusations de sorcellerie entraînent des violations des droits humains de centaines de femmes dans le nord du Ghana »

  1. SYNTHÈSE

La sorcellerie est un système de croyances qui existe au sein de différentes communautés dans le monde, notamment au Ghana, où dans les régions du Nord et du Nord-Est du pays, les personnes accusées de la pratiquer finissent dans des camps. Il est important de faire la distinction entre les pratiques néfastes et les atteintes aux droits humains qui sont liées aux accusations de sorcellerie, et l’exercice légitime de la liberté religieuse, qui est protégé par le droit international.

ACCUSATIONS DE SORCELLERIE DANS LE NORD DU GHANA

Amnesty International a mené des recherches à ce sujet, tandis qu’une proposition de loi érigeant en. infraction les attaques liées à la sorcellerie avait été adoptée par le Parlement en juillet 2023, sans jamais. être promulguée. L’organisation a visité quatre camps au cours des deux voyages de recherche qu’elle a effectués dans le pays et elle a interrogé: 93 personnes accusées de sorcellerie la famille d’une femme tuée à la suite d’une accusation; quatre personnes assurant la supervision des camps: 12 organisations nationales et internationales qui travaillent sur le problème; une universitaire en sciences du développement et 22 représentant-e-s du gouvernement, y compris des autorités locales.

Le manque de ressources économiques observées dans ces régions par rapport au reste du pays engendre des tensions au sein des communautés et accentue le risque pour des personnes déjà marginalisées, en particulier les femmes âgées, d’être accusées de pratiquer la sorcellerie. Ces accusations trouvent souvent leur source dans des événements tragiques, comme une maladie ou un décès, mais peuvent également provenir de certains membres de la communauté ayant eu une vision en rêve, ou qui sont simplement envieux de la personne qu’ils accusent. Les personnes accusées de sorcellerie sont généralement confrontées à des formes intersectionnelles de discrimination, et sont dans l’incapacité de se défendre, car elles présentent souvent une ou plusieurs caractéristiques qui les mettent plus en danger d’être accusées que d’autres au sein de la communauté. Ces caractéristiques peuvent inclure le fait d’être une personne âgée, d’être une femme, la pauvreté, le fait d’avoir reçu une éducation formelle limitée, de souffrir de problèmes de santé ou de présenter un handicap. Les femmes qui ne sont pas mariées, qui ont du succès. ou qui ne se conforment pas aux stéréotypes de genre, ont plus de chances d’être prises pour cible par ces accusations, ainsi que les veuves qui n’ont pas de fils adulte. Les accusations sont souvent le fait de membres de leur famille et peuvent donner lieu à des actes de violence, y compris des homicides, ce qui ne laisse aux personnes accusées qu’un seul choix, celui de fuir.

L’ETAT NE PROTÉGE PAS LES DROITS DES PERSONNES ACCUSÉES DE SORCELLERIE

Le droit à la vie et à la sécurité de la personne inclut, pour les États, le devoir de mettre en place un cadre juridique qui protège les individus, en particulier ceux que les circonstances rendent vulnérables, contre des menaces prévisibles présentées par autrui, Au Ghana, les faits de violence perpétrés contre des personnes. accusées de sorcellerie sont rarement signalés à la police, et quand c’est le cas, ils ne font pas systématiquement l’objet d’enquêtes. Ce manque de signalement est en partie dû au fait que les personnes concernées ne connaissent pas leurs droits, ainsi qu’en raison d’une peur d’aller voir la police. Comme l’a expliqué une femme accusée à Amnesty International si je l’avais signalé à la police, les gens qui m’accusaient m’auraient tuée. Je ne l’ai pas fait, car la pression que je subissais était trop forte. Le manque de lois spécifiques relatives aux attaques liées à la sorcellerie, aggravé par l’absence d’une campagne nationale globale visant les régions concernées, porte atteinte aux droits à la vie et à la sécurité des personnes accusées et de celles qui sont à risque de l’être. L’Etat ne fournit pas non plus de refuges sécurisés aux personnes obligées de fuir leur ville. De ce fait, celles-ci finissent dans des camps gérés par des prêtres traditionnels, où elles demeurent jusqu’à leur mort ou jusqu’à ce qu’un membre de leur famille ou une autre communauté les accepte.

Dans ces camps, l’accès à la nourriture, à un logement sûr et à de l’eau propre est limité. Les personnes accusées travaillent généralement aux champs dans des fermes qui ne leur appartiennent pas, ou dépendent de dons. Le gouvernement propose un programme de transferts monétaires, mais dans les camps, tout le monde n’y est pas inscrit. De plus, même les personnes qui bénéficient d’une assistance financière ne reçoivent pas toujours l’argent à temps, et les montants sont insuffisants pour leur fournir un niveau de vie décent dans les camps. Une personne résidant dans un camp a déclaré à l’organisation je n’ai rien eu à manger depuis ce matin, j’ai l’estomac vide. Cet après-midi et ce soir, je vais essayer de trouver quelque chose à manger… Je suis gênée quand je suis obligée d’aller voir le chef pour lui demander de la nourriture. Dans les camps, le sol des cases est souvent en mauvais état, et les toits n’empêchent pas efficacement la pluie de pénétrer à l’intérieur. Les personnes accusées qui y vivent, qui sont particulièrement vulnérables et dans l’incapacité de se procurer elles-mêmes un logement correct, dépendent du gouvernement pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Cependant, le gouvernement a failli à ses obligations. L’accès à l’eau représente un autre défi de taille, car il n’y a pas d’eau courante dans les camps, malgré une politique nationale visant à la rendre accessible à tout le monde. Les femmes vivant dans les camps sont ainsi souvent obligées de marcher durant des heures à travers des zones montagneuses pour puiser de l’eau dans une rivière voisine. Les autorités ghanéennes n’ont pas garanti un accès et une disponibilité suffisants et continus à de l’eau propre aux personnes résidant dans les camps, qui vivent dans des endroits reculés et que leur åge et leur situation économique rendent particulièrement vulnérables.

Compte tenu des conditions de vie dans les camps, les résident-e-s sont tout spécialement exposés aux maladies. La plupart des personnes qu’Amnesty International a interrogées dans les camps bénéficiaient de l’assurance maladie nationale, mais étaient obligées de payer de leur poche les médicaments non couverts par celle-ci, ce qu’elles étaient rarement en mesure de faire. Comme l’a expliqué une femme qui vit désormais dans un camp: J’ai mal aux reins, Je ne peux pas me tenir droite… J’ai des rougeurs sur le corps. Je souffre d’hypertension. Il y a des médecins, mais quand j’y vais et qu’on me fait une prescription, je ne peux pas la payer; alors je la prends et je la laisse à la maison. La santé mentale est aussi préoccupante dans les camps. Une femme a déclaré à Amnesty International qu’elle avait même envisagé de se suicider: Quand je suis arrivée ici, je pensais à me suicider… parce que l’accusation était trop pour moi. C’était tellement douloureux. On disait que j’étais responsable de la mort du fils que j’aimais tant.

C’est à l’Etat qu’incombe la responsabilité principale de veiller à ce que le droit à la santé soit concrétisé, même si les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle de soutien. D’après les informations qu’Amnesty International a pu réunir, l’Etat n’a pas fourni un accès adéquat aux services de santé aux personnes particulièrement vulnérables vivant dans les camps. Elles se retrouvent ainsi souvent dépendantes de l’aide des ONG ou d’autres personnes, ce qui s’avère parfois insuffisant pour leur garantir un accès à des soins de santé de qualité.

RECOMMANDATIONS

Amnesty International recommande, entre autres, que le gouvernement mette en œuvre une campagne de sensibilisation nationale coordonnée, et sur le long terme, afin de remettre en question les pratiques sociales et culturelles discriminatoires à l’égard des femmes et des personnes âgées, notamment les accusations de sorcellerie. Par ailleurs, le gouvernement doit y consacrer des ressources suffisantes. En outre, des lois érigeant en infractions les accusations de sorcellerie et les atteintes aux droits humains qui en découlent doivent être adoptées. L’État doit veiller à ce que la police dispose de ressources suffisantes pour réagir lorsque des cas d’accusations de sorcellerie surviennent, et à ce qu’il y ait suffisamment de postes de police à proximité des zones où ces affaires sont prédominantes. Tant que des personnes demeurent dans les camps, le gouvernement doit garantir l’accès à des moyens de subsistance, à une alimentation correcte, à de l’eau propre et à un logement adequat pour toutes les personnes affectées, et sans aucune forme de discrimination. Ceci peut être en partie réalisé en procurant une aide financière régulière à toutes les personnes qui résident dans les camps.

2.1 CONCLUSION

La prédominance des accusations de sorcellerie et des atteintes qui y sont liées dans les régions du Nord et du Nord-Est constitue une atteinte aux droits à la vie et à la sécurité des personnes accusées, principalement des femmes âgées. L’accès à la justice se heurte à un obstacle principal: la peur de signaler les problèmes. Les femmes ne connaissent pas leurs droits, ou ont l’impression qu’il serait culturellement inacceptable pour elles de signaler un problème à la police. Les témoignages recueillis par Amnesty International indiquent que l’État n’a pas mis pas en place un environnement propice pour procéder à des enquêtes judiciaires sur les attaques liées à des questions de sorcellerie et poursuivre les responsables présumés, ce qui permet à ces accusations et aux atteintes qui en découlent de perdurer. En n’établissant pas de cadre juridique spécifique pour répondre aux accusations de sorcellerie, qui sont pratique courante, et à leurs conséquences néfastes, les autorités ghanéennes ont manqué à leur devoir de protéger les victimes et les personnes à risque de le devenir. De plus, les femmes n’ont aucun lieu sür où se réfugier lorsqu’elles sont accusées de sorcellerie, puisqu’il n’existe dans la région aucun refuge subventionné par l’Etat pour les femmes victimes de violences domestiques, en contradiction avec les dispositions de la législation nationale. Des instances gouvernementales locales et la CHRAJ mènent des initiatives ad hoc pour sensibiliser les communautés concernées et enrayer le phénomène, mais leur travail ne suffit pas à lutter activement et globalement contre les stéréotypes associés aux accusations de sorcellerie.

Bien que les camps constituent des refuges pour les personnes victimes de telles accusations, les conditions de vie y sont inadéquates. Le gouvernement n’a pas fait en sorte que les personnes accusées qui sont particulièrement vulnérables et incapables de subvenir à leurs besoins disposent de moyens économiques et d’un accès physique à de la nourriture, à un logement sûr et à de l’eau propre. La possibilité d’obtenir des moyens de subsistance est limitée et il n’existe aucun programme gouvernemental spécialement dédié au soutien des victimes d’accusations de sorcellerie. Seules certaines des personnes résidant dans les camps reçoivent une aide limitée de la part du gouvernement, sous la forme de versements effectués tous les quelques mois. Néanmoins, ceux-ci sont insuffisants et ne s’inscrivent souvent pas dans la durée.

Les sols et les toits des cases dans les camps sont vieux et certaines femmes ne disposent pas de l’aide dont elles ont besoin pour les entretenir. Ces personnes étant particulièrement vulnérables et dans l’incapacité de se procurer elles-mêmes un logement correct, le gouvernement a le devoir de répondre à ce besoin fondamental, mais ne le fait pourtant pas. Dans la plupart des camps, il n’y a pas d’eau courante malgré une politique nationale visant à la rendre accessible à tout le monde. Les femmes sont donc obligées de marcher pendant des heures pour aller en chercher. L’assurance maladie et les services de santé présents dans les environs ne suffisent pas à couvrir les besoins des femmes qui ont des problèmes de santé graves ou chroniques. L’Etat ne fournit donc pas un accès suffisant à des services de santé de qualité aux personnes particulièrement vulnérables vivant dans les camps, ce qui les laisse trop dépendantes de l’aide des ONG ou d’autres personnes.

La fréquence des accusations de sorcellerie démontre qu’il s’agit d’une croyance enracinée au sein de plusieurs communautés et que le simple fait d’ériger de telles accusations et les atteintes aux droits humains qui en découlent en infractions ne suffirait pas à régler le problème. Le gouvernement doit s’attaquer aux causes profondes de ces atteintes en mettant en œuvre des mesures préventives coordonnées afin de mettre fin aux accusations et empêcher de nouvelles arrivées dans les camps. Ces mesures doivent notamment inclure une stratégie de campagne à long terme visant à sensibiliser les communautés concernées sur ce problème, ainsi que des investissements à long terme dans les régions touchées. Enfin, le gouvernement doit apporter des réparations (notamment via des programmes de réintégration) et une protection aux personnes ayant subi des atteintes en raison des accusations dont elles ont fait l’objet.

2.2 RECOMMANDATIONS

A la lumière de ces conclusions, Amnesty International présente un ensemble de recommandations aux autorités ghanéennes, à d’autres Etats, en particulier ceux qui entretiennent de solides relations diplomatiques, culturelles, économiques et politiques avec le gouvernement du Ghana, à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et à différents organes des Nations unies.

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