Togo/Secteur pétrolier: Pourquoi une si bruyante tempête anti-réforme ?
L’affaire aura fait couler beaucoup d’encre et de salive. Le « Petrolegate », une affaire mise sur la place publique par le journal L’Alternative et qui continue d’agiter les parties impliquées. Entre tentatives de blanchiment des auteurs présumés des dysfonctionnements dans la commande du pétrole au Togo et campagnes de dénigrement des nouveaux maîtres du circuit pétrolier togolais, le « pétrolegate » est encore loin de connaître son épilogue.
Après les révélations de la presse touchant le secteur pétrolier, mettant le curseur sur les dysfonctionnements du Comité de Suivi des Fluctuations des Prix des Produits Pétroliers (CSFPPP), l’Etat, à travers le ministère en charge du commerce, prend des dispositions pour perfectionner le système de commande et d’importation des produits pétroliers. La réorganisation fait apparaître une nouvelle société, TNP, qui reprend les prérogatives de la société appartenant à Francis (le père) et Fabrice (le fils) Adjakly qui, hier, accomplissait les mêmes missions que TNP. Il s’agit de Management Hydrocarbure, devenue plus tard Togo Phénix Corporation. Les intérêts perdus par Adjakly père et fils les mettent en transe. Depuis, il ne passe un seul jour sans qu’une certaine presse ne se fasse l’écho de cette affaire, remettant en cause la réforme engagée par le ministre en charge du Commerce, Kodzo Adedze, présenté désormais comme le vrai coupable dans cette affaire.
La commande des produits pétroliers hier…
Historiquement, en l’absence de textes, la commande des produits pétroliers était assurée à tour de rôle par les marketers (propriétaires des stations d’essence) jusqu’en 2008. Le décret n°2010-146/PR du 26 novembre 2010 charge le CSFPPP et ses autres organes d’une mission exclusive de régulation et précisément de la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement automatique des prix à la pompe des produits pétroliers.
Mais à la suite de graves dysfonctionnements entraînant des ruptures dans la chaîne de distribution avec une accumulation des dettes de l’Etat envers les pétroliers, la mission de commander des produits pétroliers passera au CSFPPP. Après l’apurement des dettes par l’Etat, le comité se verra confier, en plus de son rôle de régulateur, la commande des produits pétroliers, et toujours, sans décaissement de fonds publics.
Francis Sossah Adjakly était le coordonnateur du Secrétariat de la commission technique du CSFPPP. A ce titre, il avait des pouvoirs étendus. Il est le patron de l’élaboration des dossiers de consultations restreintes qu’il présente au ministre du commerce pour validation ; il se charge du suivi et de la mise en œuvre du contrat d’approvisionnement des produits pétroliers ; il veille essentiellement à la disponibilité des produits sur toute l’étendue du territoire en relation avec les marketers et s’assure que les sommes dues aux traders soient payées. Afin de garantir les intérêts des traders, s’agissant des sommes à eux dues par les marketers, un compte séquestre a été ouvert à cet effet dans une banque commerciale. L’utilisation du compte séquestre a fait apparaître quelques insuffisances et les traders ont suggéré eux-mêmes la création d’une société privée chargée de garantir leurs intérêts. C’est à cet effet que la société privée Management Hydrocarbure a été créée. Cette société deviendra plus tard Togo Phénix Corporation (TPC). Les fonds issus des ventes aux marketers sont payés désormais à cette société et en attente sur deux comptes ouverts dans deux banques commerciales pour être virés aux traders.
Un tel fonctionnement du CSFPPP laisse assez de marges de manœuvre aux Adjakly pour piper les dossiers d’appels d’offres. Parce que Francis Adjakly est le patron de l’élaboration des dossiers d’appels d’offres, qu’il soumet aux ministres de commerce peu regardants en la matière, jusqu’à l’arrivée du ministre Adedze. Au même moment, son fils Fabrice est directeur financier du CSFPPP, chargé des relations avec les traders et patron de la société privée d’intermédiation Management Hydrocarbure, qui représente les traders et défend leurs intérêts au Togo. Mais plus tard, le père va récupérer Management Hydrocarbure, la mettre sous sa coupole en lui changeant de raison sociale. Elle devient alors « Togo Phénix Corporation ». Conséquence de ce maillage de tous les rouages de la commande et de l’approvisionnement des produits pétroliers, des années durant, la société Vitol, alliée des Adjakly, a régulièrement remporté les appels d’offres. Mais les autres sociétés concurrentes ne se sont jamais plaintes de ce monopole de Vitol, ce qui laisse croire au montage d’une concurrence artificielle, indique un investisseur, sous le sceau de l’anonymat. Les Adjakly sont autorité contractante, et en même temps représentants des traders qui sont des concurrents qui souscrivent aux appels d’offres, une anomalie qui n’a pas sa place dans les marchés publics, à en croire les spécialistes de la commande publique, du fait de conflits d’intérêt et de la très forte probabilité de la commission de délit d’initié.
… et aujourd’hui
Le ministre Kodzo Adedze va enclencher une réforme portant réorganisation de tout le système, avec une séparation des acteurs et des entités, en vue de réparer les dysfonctionnements qui avaient cours et normaliser le fonctionnement du CSFPPP en adéquation avec les meilleures pratiques. Sa tactique, séparer l’autorité contractante qu’est le CSFPPP et la société d’intermédiation. Chaque entité devrait dorénavant ne jouer que sa partition en vue de préserver la transparence et l’équité dans tout le processus de la commande et de l’approvisionnement. Le CSFPPP et la société d’intermédiation ont chacun, dorénavant, une mission particulière bien définie, avec une séparation claire des structures et des personnes. Dans ce processus, Kondo Comlan Ononh-Nofoumi est nommé coordonnateur du CSFPPP en remplacement de Francis Sossah Adjakly, après une vingtaine d’années aux manettes. Pour tourner la page sombre des pratiques des Adjakly, l’Etat décide de se passer des services de la société d’intermédiation Phénix Corporation des Adjakly et met en place une nouvelle structure : Togo Negoce Petrole (TNP). Les actionnaires de TNP sont Togo Invest Corporation S.A, représentée par Ekue Mivedor, et la Société togolaise d’intermédiation pétrolière (STIP Sarl) représentée par Adanbounou Akoete. STIP a pour, entre autres domaines d’intervention au Togo et partout ailleurs, la négociation, la médiation et la résolution des conflits dans le domaine des activités de pétrole. Toutes ces sociétés ont été créées dans le strict respect des textes en vigueur, assure-t-on. L’Etat, agissant en toute souveraineté, en tant qu’entité garantissant le paiement des traders, s’est logiquement invité dans la constitution de TNP où il détient 49% des actions (Togo Invest Corporation S.A.) et 51% cédés au privé (STIP).
Le montage des dossiers d’appels d’offres et des consultations restreintes, l’attribution des marchés, le suivi et la mise en œuvre du contrat d’approvisionnement des produits pétroliers s’inscrivent maintenant, exclusivement, dans le champ des attributions de l’autorité contractante qu’est le CSFPPP, précisément de sa commission technique. Contrairement aux anciennes pratiques où les Adjakly sont autorité contractante et en même temps gérants de la société d’intermédiation, TNP n’intervient nulle part dans tout le processus qui aboutit à l’importation et au stockage des produits pétroliers sur les sites habilités. Elle n’intervient que dans la sécurisation des relâches et le paiement des traders, servant de tampon entre l’Etat, les marketers et les traders, ce qui élimine de fait, une fois de bon, tout conflit d’intérêt et toute probabilité de commission de délit d’initié, opinent les spécialistes du secteur des hydrocarbures.
Des interrogations légitimes…
La commande des produits pétroliers était assurée au départ par les propriétaires des stations d’essence. Plus tard, cette mission sera dévolue au CSFPPP. Au moment où les propriétaires des stations d’essence perdaient le contrôle de la commande, il n’y avait pas eu de tollé, la presse n’avait pas crié au scandale, cela s’est passé sans bruit, presque à l’insu de l’opinion. Afin de garantir les intérêts des traders, la société privée Management Hydrocarbure dirigée par Adjakly père et fils a été créée, et ces derniers étaient en amont et en aval de tout le processus de commande des produits pétroliers. Cela a ainsi fonctionné des décennies durant, sans bruit. Même le pétrolegate n’avait pas attaqué ce volet. Pourquoi subitement la réforme initiée par le ministre Adedze, dépossédant les Adjakly de cette prérogative soulève tant d’agitations ?
Autre curiosité, c’est le fait que de simples membres de l’équipe de la nouvelle société TNP sont incriminés, exposés, alors même que le directeur général qui est Ekue Mivedor, DG de Togo invest n’est pas attaqué, le PCA de TNP qui est un haut dignitaire du régime n’apparaissent nulle part dans ces écrits qui tendent à faire croire qu’il s’agirait d’une contribution au jaillissement de la lumière sur l’obscurité qui a pendant longtemps enveloppé le secteur pétrolier au Togo.
A peine la société TNP est-elle créée que tous les documents fondant son existence légale se retrouvent sur la place publique. A quelles fins ? Le 25 mars 2021, Kodjo Adedze adresse un courrier au DG Afrique de Vitol pour lui expliquer les changements intervenus dans le système de commande et d’approvisionnement des produits pétroliers. Le lendemain, le courrier se retrouve in extenso sur la place publique. Autre fait qui soulève encore des questionnements. Dénoncer la nouvelle organisation qui se met en place, n’est-ce pas cautionner les dysfonctionnements qui avaient cours auparavant, et qui profitaient énormément aux Adjakly père et fils ?
Source : Le journal l’expression Numéro 013 du 5 août 2021