Togo/ Que célébrons-nous Africains, le 8 mars? Le journaliste Kofi Telli s’interroge
Les femmes ont célébré mardi, dans le monde, leurs acquis. Un symbole du 08 mars considéré comme une étoile polaire dans le ciel qui rappelle à la société son engagement de tous les jours pour une effectivité de l’équité dans nos sociétés. Seulement le journaliste Kofi Telli s’interroge sur l’intérêt de cette célébration pour les Africains. Si cette journée doit exister, fait-il savoir, il faut puiser les ressources dans notre propre histoire, pas dans celle des autres.
Encore un 8 mars, cette journée consacrée par les Nations Unies en 1977, journée internationale des droits de la femme. Et, ce n’est pas étonnant de voir les pays africains sauter sur l’occasion pour fêter, célébrer ou méditer sur les conditions des femmes. Si l’idée en soi n’est pas mauvaise (penser aux conditions des femmes), il est de rigueur de dire qu’encore une fois, les Africains se sont trompés de combat.
La journée des droits de la femme, il faut le dire d’entrée, n’est pas en soi mauvaise. Mais, si cette journée doit exister, il faut puiser les ressources dans notre propre histoire, pas dans celle des autres.
La genèse de cette journée remonte aux mouvements féministes du début du XXème siècle. Une période où la grande partie des pays africains n’existe pas dans leur forme actuelle, en tant qu’Etat. Quand on parle du 8 mars, ceux qui sont réellement concernés n’ont même pas encore fini de se faire la guerre sur la vraie origine de cette journée.
Faire la promotion de la femme en Occident au détriment de l’homme peut se comprendre. Parce que là-bas, pendant longtemps, la femme a été marginalisée. Ce n’est qu’après la 2ème Guerre mondiale que le droit de vote a été accordé aux femmes dans plusieurs pays de l’Occident. Il n’est pas important d’épiloguer là-dessus parce que ce n’est pas l’objet de cette réflexion.
En Afrique, plusieurs centaines de siècles déjà, les femmes étaient reines. Autrement, la femme avait depuis sa place dans les sphères de décision. Les exemples sont légion chez les Songhay, au Mali, au Nigeria, en Sierra Leone, au Ghana et au Sénégal etc.
Fatou Sarr, parlant de la place de la femme africaine avant la période précoloniale, disait ceci : « comprendre la place des femmes africaines dans la société précoloniale permet de saisir le sens du combat qu’elles ont mené contre le modèle occidental qui remettait en cause des acquis que leur conféraient leurs sociétés. Leurs positions sociales étaient justifiées par leur rôle au niveau économique, social et spirituel, mais elles pouvaient être aussi le fruit de luttes âprement menées ».
Et d’ajouter que les données sur de grandes figures féminines à travers toute l’Afrique, fournies par les témoignages d’anciens voyageurs et les découvertes d’historiens modernes illustrent le rôle de premier plan joué par des femmes remarquables qui ont assumé dans certaines circonstances la direction de leur peuple, notamment dans des luttes entre États africains ou contre les invasions arabes et les conquêtes coloniales.
Tout ce qu’on doit savoir, c’est que quand on parle du 8 mars, les Africains de l’Afrique ne devraient pas se sentir concernés. Sinon, ce sera comme laisser la proie pour l’ombre. En fait, on se réapproprie la réalité et la lutte d’autres contrées. Autrement, ce n’est pas notre histoire, même s’il faut reconnaître que les femmes de chez nous ont des problèmes. Leurs problèmes, faut-il le dire, sont plus gros que ce que vivent les femmes des pays concernées par cette journée.
Le 8 mars en Afrique sonne comme une sorte de néo-colonialisme
Plusieurs pays africains se sont appropriés cette journée, à la suite de la résolution votée par l’Organisation des Nations Unies en 1977. Cette consécration de la journée du 8 mars, nous l’avons déjà dit plus haut, n’a rien à voir avec l’origine de cette journée. Autrement, si les Français, les Anglais et les Américains commémorent cette date, ce n’est pas parce que les Nations Unies l’ont consacrée. Mais, c’est plutôt parce qu’à un moment donné de leur histoire, les femmes se sont révoltées contre ceux qui les maintenaient dans de conditions misérables et les traitaient comme des êtres humains en dessous des hommes.
Alors, la question qu’on peut se poser est de savoir : que célébrons-nous, Africains, le 8 mars ? Une grosse question à laquelle nous sommes appelés à répondre. Continuons-nous à penser que nous n’avons pas d’histoire comme tentent de nous l’imposer certains ? Si tel est le cas en ce XXIème siècle, c’est très grave.
En Afrique, s’il est vrai que dans nos entreprises et dans les différentes sphères de l’Etat et de ses démembrements la femme n’a pas encore une place aussi élevée (dans certains pays, cela commence par bouger), les vrais problèmes de nos femmes s’appellent absence d’identité, sentiment d’infériorité à la blanche, dépigmentation pour ressembler au blanc, néantisation de son être….
Le professeur Westermann, dans The African to-day, écrit ceci : « il existe un sentiment d’infériorité des Noirs qu’éprouvent surtout les évolués et qu’ils s’efforcent sans cesse de dominer. La manière employée pour cela est souvent naïve : porter des vêtements européens ou des guenilles à la dernière mode, adopter les choses dont l’Européen fait usage, ses formes extérieures de civilité, fleurir le langage indigène d’expressions européennes, user de phrases ampoulées en parlant ou en écrivant dans une langue européenne, tout cela est mis en œuvre pour tenter de parvenir à un sentiment d’égalité avec l’Européen et son mode d’existence ».
En fait, nos problèmes (ceux des femmes et des hommes) viennent plutôt d’une situation plus générale. Il y a un asservissement qui ne dit pas son nom. Dans son essai ‘Nations nègres et culture’, Cheikh Anta Diop disait : « ignorant les faits historiques qu’on prend soin de lui cacher ou de déformer avant de les lui enseigner, il en est arrivé à épouser le point de vue que l’enseignement colonialiste a constamment cherché à lui inculquer pour s’assurer sa docilité, à savoir qu’il n’a pas d’histoire ou de culture comparables à celles de l’Europe, qu’il est en fait là pour obéir et non pour organiser ou assumer ses responsabilités ».
Il en résulte un manque de confiance en soi en ses propres possibilités, ajoute-t-il.
Bref, aujourd’hui, la situation de la femme se résume en cette idée d’Aminata Traoré, femme politique malienne : « la promotion politique des femmes ne m’intéresse pas. L’égalité homme-femme ne m’intéresse pas si c’est pour ressembler à nos propres hommes qui sont des otages. Ce qui est important pour moi aujourd’hui, c’est une bonne connaissance de l’état du monde. Pourquoi l’Afrique est dans cette situation ? S’il faut fixer des cheveux jusqu’au dos ou se dépigmenter, ressembler le plus possible au blanc pour exister, c’est ça le drame pour moi. C’est ça qui doit changer ».